Moteur du futur pour les uns, bricolage sans avenir pour les autres, le rotatif est "la grande affaire des années soixante". A bout de souffle, la marque NSU n'a que faire de ce chahut. Elle doit tenter ce pari. Après un petit spider, sympathique mais exclusif, elle présente fièrement une berline animée par un double rotor : la Ro80.En 1967, le salon de Francfort n'est encore qu'une manifestation sans grande portée internationale. La vitrine sérieuse et sans grand éclat d'une industrie allemande en pleine santé où les surprises sont alors très rares.
Pourtant cette fois, un peu à l'écart des imposants podiums des grands constructeurs, la modeste firme NSU bouleverse cette douce quiétude en dévoilant une berline révolutionnaire. Le simple énoncé de son nom reflète toutes les ambitions de la marque : Ro pour rotatif et 80 pour symboliser la voiture des années 80. La démarche peut sembler prétentieuse ou même naïve. Elle est surtout follement audacieuse. En pariant sur une technologie qui n'est encore qu'au seuil de la maturité, NSU risque gros, mais a-t-elle vraiment d'autres choix ? Cantonnée jusqu'à présent dans la production de petites voitures à moteur arrière, la marque de Neckarsulm voit sa part de marché s'effriter chaque année un peu plus.
Dans une Allemagne en plein miracle économique, le temps n'est plus aux voitures populaires à tel point que même, les ventes de la VW Coccinelle commencent à s'essouffler ! NSU doit franchir une nouvelle étape, mais faute d'image et surtout de gros moyens industriels pour aller se battre "dans la cour des Grands", le choix des armes se révèle des plus limités. A l'heure de la production de masse, une seule voie s'impose pour tenter de se démarquer : celle de l'innovation. Un terrain familier pour NSU qui finance depuis plus de quinze ans les travaux de Felix Wankel sur le moteur rotatif . Le mystérieux docteur n'en est rien l'inventeur, mais opiniâtre à la limite de l'obsessionnel, il a consacré sa vie à le rendre opérationnel. Il est bien difficile pour un non initié d'appréhender clairement son principe de fonctionnement. En résumé, il se compose d'un piston effectuant par rotation le cycle d'un moteur quatre temps au sein d'une chambre de combustion. Sur le papier, le rotatif ne présente que des avantages : disparition des vibrations, atténuation de l'inertie et du bruit liés à l'usage d'un moteur classique tout en offrant une grande résistance aux hauts régimes et une puissance élevée. De plus, il est peu encombrant, léger et économique à fabriquer en raison du nombre réduit de ses composants.
Après un accord avec NSU en 1951 qui lui donne les moyens d'expérimenter ses recherches, il touche enfin au but six ans plus tard. Un premier moteur "tourne" au banc d'essai du service de recherches de la marque en février 1957. Les performances sont prometteuses mais la fiabilité encore très aléatoire. NSU devra patienter trois ans de plus avant d'entreprendre les premiers essais "roulants". Des essais laborieux mais suffisamment convaincants pour décider la commercialisation d'une voiture dotée de cette motorisation. Un joli spider propulsé par un simple rotor de 497 cm3 est dévoilé à Francfort en 1963. La première voiture au monde équipée d'un moteur rotatif produite en petite série suscite des commentaires flatteurs. NSU est conforté dans ses choix, d'autant que nombreux constructeurs décident d'acquérir à prix d'or des licences de fabrication.
Si ce commerce se révèle principalement fructueux pour Felix Wankel, il va néanmoins permettre le financement du projet Ro80 animé cette fois par un double rotor. NSU veut un écrin parfait pour mettre en valeur son moteur rotatif et choisit les solutions techniques parmi les plus sophistiquées de l'époque : traction avant, suspension à quatre roues indépendantes, quatre freins à disque, direction assistée... Elle est moderne dans le moindre détail et en avance sur son temps avec des équipements encore peu habituels comme une lunette dégivrante, des feux de recul oui encore un siège conducteur réglable en hauteur. Et puis, la Ro80 est belle. Aussi longue, mais plus racée qu'une BMW ou une Mercedes, ses rivales de l'époque, elle innove avec sa silhouette en coin. Une solution inédite alors, mais traitée avec beaucoup d'élégance qui lui permettra ne jamais faire réellement son âge.
Bien accueillie par la presse (elle sera couronnée voiture de l'année 1967), la Ro80 doit maintenant convaincre le public. En dépit d'un tarif élevé, elle remporte d'abord un vif succès. Son caractère innovant, son excellent comportement routier, son confort et son silence d'utilisation font l'unanimité. Toutes ces qualités n'arrivent cependant à masquer sa faiblesse majeure liée paradoxalement à sa célébrité : son moteur rotatif. Dénaturé par une boîte semi automatique, il affiche bien une grande souplesse, mais manque de vigueur et affiche un féroce appétit en carburant. Plus grave, les problèmes d'entretien se multiplient (remplacement fréquent des bougies, consommation d'huile extravagante) et on ne tarde à parler d'une fiabilité aléatoire. L'espérance de vie du double rotor ne dépasse pas, en effet, les 60 000 km ! Cette mauvaise réputation conjuguée à une image devenue floue après la fusion de NSU avec Audi d'abord, puis une intégration totale au sein du groupe Volkswagen finira par décourager les amateurs. La flambée des prix de l'essence après les chocs pétroliers finira par effaroucher les derniers irréductibles. L'ultime survivante de la marque NSU s'éteindra en 1977 dans l'indifférence générale, entraînant avec elle le moteur rotatif, qui ne se remettra jamais, du moins en Europe*, de ce cuisant échec.
*Mazda acheta en 1961 l'une des premières licences de fabrication d'un moteur rotatif. Deux ans plus tard, le premier moteur japonais tournait au banc et apparaissait sur un coupé Cosmo en 1967. A force d'entêtement et d'expérimentation, Mazda a réussi à donner au rotatif un degré de fiabilité inimaginable dans les années 70. Depuis 1967, le label "Rotary Engine" figure régulièrement au catalogue Mazda et près de deux millions de véhicules à moteur rotatif ont été vendu. Enfin, pour la petite histoire, Mazda triompha aux 24 Heures du Mans 1991 avec un prototype animé par un quadri rotor suralimenté par un turbocompresseur.
Moteur : bi-rotor
Cylindrée : deux chambres d'un volume de 497,5 cm3
Puissance : 115 ch à 5500 t/mn
Vitesse maxi : 180 km/h
0 à 100 km/h : 12''8
Transmission : aux roues avant
Boîte : semi-automatique à trois rapports
Châssis : monocoque acier autoporteur
Freins : 4 disques
Suspensions : à quatre roues indépendantes
Dimensions : L : 478 cm ; l : 176 cm ; h : 141 cm ;
empattement : 143,4 cm
Poids : 1210 kg
Conso. moyenne: 15l/100 km
Production : 37 400 ex.
Rouler en NSU Ro80
Si une NSU Ro80 affiche un tarif plutôt séduisant -aux alentours de 25 000 F- dans les différentes cotes spécialisés, il faut cependant multiplier ce budget par trois pour la remettre sur la route. Aujourd'hui, il est, en effet, bien difficile d'en dénicher une en bon état : il ne subsisterait plus qu'une vingtaine de modèles en France dont la plupart seraient bien fatigués... C'est le moteur Wankel qui absorbe, évidemment le plus gros du coût de restauration : 40 000 F ! Une somme d'autant plus dissuasive qu'elle ne tient pas compte de la main d'ouvre et qu'elle doit être réinvestie tous les 60 000 à 80 000 km, la durée de vie moyenne du rotatif. Pour finir toutefois sur une note optimiste, la carrosserie et l'habitacle, bénéficiant tous deux d'une finition de qualité, ont plutôt bien résisté aux outrages du temps.